dimanche, juin 1, 2025

Tribune : Préférence nationale, contenu local et commande publique, une équation mal comprise, mal appliquée.

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L’une des critiques les plus récurrentes que les coordonnateurs de projets reçoivent, surtout à l’issue des attributions de marchés publics, c’est cette sempiternelle remarque : « vous avez donné le marché à un sénégalais », « aucun Guinéen n’a été retenu », « tous les marchés vont aux étrangers ». Ces critiques, loin d’être anodines, révèlent une incompréhension profonde des règles qui encadrent la commande publique, notamment en matière de préférence nationale et de contenu local.

Une incompréhension répandue à tous les niveaux

Le problème ne vient pas uniquement des entrepreneurs ou prestataires. Il s’étend parfois jusqu’aux tutelles, qui, sous le choc de voir des financements (même sous forme de dettes) attribués à des entreprises étrangères, remettent en cause la légitimité des attributions. Cette réaction est compréhensible sur le plan politique et émotionnel, mais elle est juridiquement injustifiée si aucun mécanisme de préférence n’a été formellement prévu. En effet, dans la passation des marchés, on n’interprète pas. On applique des dispositions. Et s’il n’a pas été prévu de réserver une part aux entreprises locales ou d’introduire une pondération avantageuse pour elles, alors aucune pression ne peut justifier une orientation en ce sens. Les Unités de Gestion de Projet (UGP), de par leur nature fiduciaire, n’ont ni la légitimité, ni la marge pour déroger aux règles contractuelles et juridiques.

Ce qui manque : des Textes et un accord préalable

Pour que la préférence nationale ou le contenu local puiss jouer un rôle décisif dans l’attribution d’un marché, encore faut-il que :

-Ces critères soient prévus dans les documents juridiques du projet (Accords de financement, manuels de procédures, plans de passation des marchés) ;

-Ces critères soient explicitement acceptés par le bailleur de fonds ;

-Leur mise en œuvre ne remette pas en cause le principe de libre concurrence et d’efficacité de l’utilisation des fonds.

Sans cela, toute tentative d’introduire a posteriori une préférence pour les prestataires nationaux constitue un biais dans la procédure, une violation des règles, et expose le projet à des irrégularités, voire à des sanctions.

Ce que font les autres pays : La force des réseaux Structurés

Dans d’autres pays, les organisations professionnelles, ordres, chambres de commerce et syndicats sectoriels ont mis en place des dispositifs de veille très performants. Ces mécanismes :

-Scannent en continu les appels d’offres lancés par les gouvernements, les banques de développement et les grandes agences multilatérales ;

-Proposent des outils de lecture rapide, des fiches d’opportunité, et des conseils pratiques pour aider les entreprises à évaluer leur capacité à soumissionner ;

-Facilitent les alliances stratégiques entre entreprises nationales, soit en groupement, soit en sous-traitance avec des partenaires plus expérimentés ;

-Mettent à disposition des conseillers juridiques et techniques pour aider à la constitution des dossiers.

En Guinée, un tel dispositif n’existe ni à l’état de concept structuré, ni à l’état de pratique informelle consolidée. Chacun se bat pour lui-même, souvent avec des moyens limités, une préparation insuffisante, et beaucoup d’espoir… mais peu de stratégie. Les réalités du terrain : entre pressions et résignations. Beaucoup d’entreprises locales entrent dans la compétition sans évaluer objectivement leurs chances de succès, sans examiner si elles remplissent les critères techniques, financiers ou méthodologiques. Leur espoir repose trop souvent sur :

-Un coup de pouce du coordonnateur ;

-Une intervention politique ou administrative ;

-Un laxisme dans l’interprétation des règles.

Mais ce fonctionnement ne fait que renforcer la frustration, aggraver les tensions entre parties prenantes, et au final… ne profite ni au projet, ni au pays, ni aux prestataires eux-mêmes.

Ce qu’il faut faire : renforcer à double volet

Côté Administration publique et projets :

-Former les tutelles et les coordonnateurs aux fondamentaux des règles de passation ;

-Travailler, en amont des projets, avec les partenaires techniques et financiers pour négocier des clauses claires de préférence nationale, là où cela est compatible avec les engagements internationaux. 2. Côté secteur privé guinéen :

-Mettre en place une stratégie nationale de veille et de prospection des marchés publics, tant locaux qu’internationaux ;

-Appuyer la formation des entreprises locales sur la préparation des dossiers de soumission, la constitution des groupements, la gestion des offres techniques et financières ;

-Créer une cellule d’appui stratégique au sein des chambres de commerce ou des associations professionnelles pour faciliter l’accès à l’information et à la compétition.

Conclusion : une co-construction responsable

On ne peut pas réclamer un marché, simplement parce que l’on est guinéen. Pas plus qu’on ne peut exclure une entreprise étrangère sous prétexte qu’elle ne l’est pas. Il faut préparer, anticiper, structurer — et cela commence par des textes clairs, des mécanismes opérationnels, et un dialogue sincère entre l’administration, les projets, les bailleurs et le secteur privé local.

Abdoulaye Wansan Bah, Spécialiste en Gestion des Projets 

civinewsguinee.info

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