dimanche, juillet 13, 2025

Tribune : Tirer parti du capital africain, une urgence pour la souveraineté et l’efficacité

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Du 26 au 30 mai 2025, la ville d’Abidjan a accueilli les Assemblées Annuelles du Groupe de la Banque Africaine de Développement, autour d’un thème puissant, qui interroge la trajectoire de tout un continent : « Tirer le meilleur parti du capital de l’Afrique pour favoriser son développement ». À première vue, il s’agissait d’un énoncé classique, presque attendu. Pourtant, derrière cette formulation se cache une ambition de fond, un appel à la réappropriation. Car parler de capital africain, c’est poser la question de la souveraineté économique, du changement de paradigme et de la capacité des États africains à définir eux-mêmes leur trajectoire de croissance à partir de leurs propres ressources, tangibles et intangibles.

Le capital africain ne se limite pas aux actifs financiers, aux fonds d’investissement ou aux réserves naturelles. Il est aussi humain, institutionnel, culturel, social. C’est une jeunesse majoritaire, énergique, créative, en quête d’opportunités à la hauteur de ses compétences. C’est un gisement immense de matières premières, d’idées, de talents, de traditions. Mais c’est aussi une série de ressources encore trop peu valorisées, trop peu intégrées dans les chaînes de valeur mondiales, et souvent bradées ou exportées à l’état brut. Ce paradoxe entre richesse potentielle et pauvreté persistante révèle une faille structurelle que les dirigeants africains ne peuvent plus ignorer.

Tirer parti de ce capital, c’est d’abord en assurer la maîtrise. Cela passe par la construction de systèmes éducatifs capables de forger une main-d’œuvre qualifiée, d’incuber l’innovation et de porter une conscience collective orientée vers l’excellence. Cela passe aussi par la mise en place d’institutions solides, indépendantes, performantes, qui inspirent la confiance et réduisent les coûts de la gouvernance. Mais plus encore, cela passe par une volonté politique claire de transformer les ressources naturelles en valeur ajoutée locale, d’encourager l’investissement productif, et de construire un tissu économique fondé sur la production, la transformation et la répartition équitable.

L’enjeu n’est pas seulement économique. Il est politique, social, civilisationnel. Il s’agit de sortir du schéma de la dépendance, où l’Afrique attend qu’on lui apporte des solutions, pour entrer dans une ère de responsabilité collective, où elle formule ses propres réponses et oriente ses propres leviers de développement. Les Assemblées de la BAD offrent un cadre privilégié pour cette réflexion. Elles rassemblent les décideurs, les experts, les acteurs du secteur privé et les partenaires techniques autour d’une même question : comment bâtir une croissance endogène, inclusive et résiliente ? La réponse n’est pas unique, mais elle commence toujours par la volonté de faire confiance à ce que nous sommes, à ce que nous savons faire, à ce que nous pouvons faire mieux ensemble.

L’Afrique n’a pas besoin d’un miracle, mais d’un sursaut. Ce sursaut, c’est le refus d’un système extractif sans transformation. C’est l’ambition de contrôler les chaînes de valeur. C’est la capacité à concevoir des instruments financiers adaptés à nos économies. C’est aussi l’audace de rompre avec des modèles importés qui ne correspondent ni à nos réalités sociales, ni à nos aspirations collectives. L’industrialisation, la digitalisation, l’interconnexion des marchés régionaux et la montée en compétence des administrations doivent devenir les piliers d’une stratégie de développement autonome et crédible.

Dans cette dynamique, la Banque Africaine de Développement joue un rôle crucial. Par ses financements, son plaidoyer, sa capacité à structurer des initiatives continentales, elle constitue un levier d’alignement entre les ambitions nationales et les engagements africains communs. Mais elle ne peut pas se substituer à la volonté des États. Ce sont les gouvernements, les institutions publiques, les collectivités, les entreprises locales et les citoyens qui, ensemble, doivent décider de faire du capital africain une réalité transformée, et non une simple ressource exploitée.

Ce thème, choisi pour les Assemblées de 2025, interpelle fortement les pays comme la Guinée. Dotée d’un potentiel minier considérable, d’une population jeune, et d’une position géographique stratégique, la Guinée a toutes les cartes en main pour incarner ce tournant. Mais pour cela, il faut des réformes courageuses, une planification rigoureuse, une transparence accrue dans la gestion publique, et une cohérence d’ensemble entre les politiques sectorielles, les instruments de financement et les aspirations de la population. Il faut aussi des institutions fortes capables de concevoir, d’exécuter et d’évaluer des politiques qui répondent aux exigences d’un développement durable.

Le moment est venu de rompre avec l’inertie, avec la fragmentation des efforts, avec les projets sans impact réel. Tirer le meilleur parti du capital africain, c’est refuser la résignation. C’est transformer le potentiel en résultat, la ressource en richesse partagée, l’espoir en prospérité. C’est faire en sorte que les décisions prises à Abidjan en mai 2025 résonnent jusqu’au cœur des villages, des quartiers, des usines, des universités et des administrations africaines. L’Afrique ne part pas de rien. Elle part de ce qu’elle a, de ce qu’elle sait, de ce qu’elle peut. Et cela est déjà immense.

Depuis Abidjan au cœur des Assemblées de la BAD : Abdoulaye Wansan Bah, Spécialiste en Gestion des Projets et Politiques Publiques

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